Je sais que je suis différent. Je ne pense pas comme les autres garçons de mon âge. Personne n’est comme moi et je ne suis comme personne. Je ne suis pas mieux, même si on m’appelle à tort « surdoué », et je me sens souvent plus nul que nul. Je suis un enfant-zèbre.
Je m’appelle Thomas. Comme tous les garçons 12 ans, je suis en cinquième. Et pourtant, je ne m’y sens pas à ma place. À vrai dire, je m’en fiche, car ça ne m’intéresse pas de rentrer dans un moule, mais à force de ne correspondre à aucune case, j’ai fini par déborder de tous les côtés, à déranger et à détonner encore plus. Alors l’an dernier, on m’a « testé » et le diagnostic est tombé : « enfant intellectuellement précoce » (EIP) ou « haut potentiel intellectuel » (HPI).
Ne dites pas surdoué. C’est faux, en plus de donner l’air d’être prétentieux. Oui, mon QI est supérieur à 130 – comme seulement 2 % de la population – pourtant ce n’est pas une question d’intelligence. Je ne suis pas « en avance », ni plus intelligent. Je suis intelligent différemment. Il suffit de prendre mes résultats scolaires pour s’en convaincre : je suis un cancre. Chez moi, la performance est une angoisse.
J’ai besoin de tout comprendre et si je ne comprends pas, c’est forcément parce que je suis trop stupide.
D’après ma mère, il ne passe pas un jour sans que je répète dix fois : « je suis trop nul ».
À l’école, je peux avoir des notes catastrophiques comme crever le plafond si j’aime une matière ou un professeur. Le plus souvent je suis simplement bon, sans faire d’effort. Sur mon bulletin de notes, on me décrit « tête en l’air », avec une « attitude au travail très décevante » même si j’ai 14,5 de moyenne. Mes professeurs me trouvent souvent impertinent. Ils pensent que je n’écoute pas, car je fixe le plafond, tripote ma trousse sans arrêt : cela m’aide juste à me concentrer, comme de faire mes devoirs avec la télévision allumée. Ils me punissent quand je ne note pas les corrections sur ma feuille : mais pourquoi le faire puisque j’ai compris mon erreur ? Et en contrôle, les intitulés m’ordonnent de « justifier ma réponse » : mais que justifier puisque j’ai donné la bonne réponse ?
« TROP INTELLIGENT POUR ÊTRE HEUREUX »
Qu’il s’agisse d’exercices de mathématiques ou d’interactions sociales, j’ai du mal à comprendre ce que l’on attend de moi alors que j’en ai les capacités.
Maman dit que « malheureusement », la vie d’un zèbre est compliquée, qu’il s’agit d’une remise en question permanente. « Trop intelligent pour être heureux » dit un livre.
Je ne suis serein qu’avec des certitudes. C’est pour cela que je passe mon temps à demander « pourquoi », « comment », à vouloir tout savoir, à m’assurer que l’on me dit la vérité, à vérifier qu’on ne m’a pas fait marcher en redemandant inlassablement dix fois la même chose. Je suis pénible et les autres supportent difficilement la manifestation de ces angoisses. De toute manière, je n’ai pas vraiment d’amis. Lorsque l’on dit être haut potentiel intellectuel (HPI), les autres s’en fichent ou nous accusent de nous « la péter ». Alors je n’en parle pas.
De toute manière, je n’ai pas besoin d’amis. Et pour cause : je me suis créé un monde imaginaire, mon refuge, bien mieux que la réalité. Ne cherchez pas à savoir à quoi il ressemble, c’est mon monde, le mien. Je ne le partage avec personne.
Un jour, mon professeur de sport a dit devant tous mes camarades que j’étais autiste. Ça m’a mis en colère. D’accord, j’ai souvent du mal à coordonner mes mouvements, car je suis dyspraxique. C’est vrai, je présente aussi des « troubles autistiques ». On les devine à mes gestes et mon comportement quand je m’ennuie ou face au stress. Il est de toute manière rare qu’une personne HPI ne souffre pas de « dys-quelque chose » : dyspraxie, dyslexie, dysphasie… Et puis il y a les phobies : légère, comme celle des araignées, ou plus lourde, comme la claustrophobie et l’agoraphobie dont souffre ma mère – elle aussi HPI, comme mes deux petites sœurs.
MA MÈRE, MES SŒURS ET MOI
À la loterie génétique, nous avons tous hérité de cette spécificité maternelle. Pourtant nous ne sommes pas pareils : je suis doué en maths, mes sœurs sont des littéraires. Léa, 9 ans, sait se faire plein d’amis et déborde d’empathie : elle pleure à la place de ceux qui se font engueuler ou se blessent. Moi, je dis souvent des choses méchantes, mais sans en avoir l’intention : les sentiments des autres me sont étrangers.
Avec ma mère, nous partageons une relation particulière : nous comprenons nos réactions, nos pensées, de manière limpide. Une relation dont sont de fait exclus mon père et les gens « normaux ». Pourtant, même pour ma mère ce n’est pas évident et si notre phrase fétiche est « je suis nul », la sienne – comme celle de tous les parents zèbres parait-il – est « je n’en peux plus ».
Nous réclamons une attention constante : d’inlassables questions pour ma part (est-ce que je peux faire ça, ci ? Pourquoi telle chose est ainsi ? Comment fait-on cela ?), des demandes de câlins en permanence pour ma sœur, dite « pot de colle ». Être ou côtoyer un zèbre est épuisant.
Mais cela peut aussi être extrêmement stimulant. C’est s’intéresser à un milliard de sujets pour peu qu’ils éveillent ma curiosité : sauter de joie à l’idée de nouvelles expériences en cours de physique-chimie, interroger ma mère pendant des heures sur un évènement historique… Quand m’a mère m’a forcé à lire Les Fourmis, de Bernard Werber, j’ai d’abord rechigné. Puis j’ai dévoré la trilogie en une semaine. Pour les 400 pages de Voyage au centre de la Terre il ne m’a fallu qu’une soirée. Si j’en avais la possibilité, je lirais jour et nuit, mais ma mère ne le voit pas du même œil.
Enfin, être zèbre, c’est avoir une créativité foisonnante, une intuition si fiable qu’elle en serait presque paranormale. De l’ouïe au toucher, mes cinq sens sont plus développés : parfois pour le pire (vous n’imaginez pas ce que me coûte de faire la bise), mais parfois pour le meilleur. J’apprends encore à maitriser tous ces aspects turbulents de ma personnalité. Mais j’ai déjà une chance : avoir été diagnostiqué haut potentiel tôt. Ce que beaucoup ignorent toute leur vie.
Source : 8e-etage.fr
C’est très courageux de vous exposer de la sorte. Même si vous avez l’impression d’être méconnue voire méprisé par certains pour l’instant, ne vous laissez pas abattre. Vous êtres brillant et ce n’est pas parce que vous ne rentrez pas dans le moule que les autres, y compris vos professeurs ont le droit de vous traiter différemment ou avec un certain mépris. Les propos à votre encontre de la part de votre professeur de sport sont honteux. Même si vous étiez dans le spectre autistique cela ne fait pas de vous un autiste. Dont la définition et les tests changent sans arrêt et incluent de plus en plus de gens qui ne seraient rentrés dans cette « case » il n’y a pas encore si longtemps que cela.
Je vous reconnais dans un de mes élèves que j’ai eu il y a quelques années: mes collègues avaient d’immenses préjugés et tenaient des propos, tels que vous les décrivez, à son encontre. Qu’il ne s’intéresse à rien, qu’il est toujours le « nez fourré » dans ses livres et qu’il ne participait pas assez en cours. J’ai eu la chance de le découvrir autrement. Au bout d’une semaine de cours avec lui j’ai rencontré les problèmes dont m’ont parlé mes collègues. Mais moi j’ai essayé de voir plus loin…. Je n’ai pas essayé de le changer pour qu’il rentre dans le moule de mon cours ( je suis professeur de langue vivante) mais c’est moi qui ait décidé d’essayer d’adapter mon cours à mes élèves. Petit à petit il est revenu vers moi et ses camarades de classe de ce cours ( dans ma matière il est rare d’avoir plus de 15 élèves par niveau) . Non seulement il est passé de 8/20 au premier trimestre à 18/20 au troisième, mais ses camarades ont essayé de l’intégrer dès la moitié du premier trimestre parce qu’ils se sont rendus compte, après qu’on ait fait une heure de vie de classe ensemble pour parler de la manière dont ils le traitaient, qu’il ne correspondait pas à ce qu’ils avaient pensé de lui. Ils ont commencé à le voir d’une autre façon, à ne plus le juger mais à l’accepter. Il nous a fait partager sa passion pour les arts martiaux japonais et s’est épanouie. L’année suivante il ne m’a plus eu comme professeur et son nouveau professeur était très « rigide ». Cela ne se passait pas bien du tout. Parfois il « séchait »‘ son cours pour venir avec moi et je lui faisait un petit cours de « rattrapage ».
Tout ça pour vous dire que ce ne sont pas les enfants/élèves qui doivent s’adapter, mais que si le ou les professeurs se montrent bienveillants et essayaient au contraire de s’adapter à leurs élèves cela peut changer leur vie.
J’espère que tu auras la chance de tomber sur de telles personnes.
Je te souhaite une très bonne continuation.
« Pourtant, même pour ma mère ce n’est pas évident et si notre phrase fétiche est « je suis nul », la sienne – comme celle de tous les parents zèbres parait-il – est « je n’en peux plus». »
Bon c’est plutôt la phrase de tous les parents en général. Après si votre phrase fétiche est « je suis nul », c’est que cette phrase vient donc de la mère… C’est peut-être là que le bas blesse. Ne pas accepter simplement d’être « plus intelligent » est en soi déjà le symptôme d’un conflit entre ce qu’on est et l’idéologie ambiante de la bêtise. Etre « plus intelligent » suppose d’abord de l’accepter, et d’apprendre à supporter les « moins intelligents » qui sont légion et impose leur point de vue, d’autant que ces moins intelligents sont de moins en moins intelligents puisque le QI moyen a baissé de 4 points en 10 ans. Donc en étudiant ce que veulent de nous les moins intelligents, il y a moyen de leur servir ce qu’ils veulent tout en continuant à nous nourrir de ce dont on a nous besoin. Etre ou côtoyer un zèbre n’est pas épuisant. C’est super au contraire! C’est les autres, massifs, partout, avec leur illogisme, leur Bêtise crasse, leur simplisme, qui sont épuisants! Bref, visiblement, une maman épuisée par l’excès de travail que constitue le fait d’avoir 3 gosses transfert un certain mal à vivre à ses gosses et les culpabilise d’être ce qu’ils sont, car elle-même se sent coupable d’être ce qu’elle est. Y a quelque chose qui cloche.