Confidences d’Alexandre Mourot, le réalisateur du film le maître est l’enfant.


Basée sur la liberté et l’autonomie de l’enfant, la pédagogie Montessori invite ce dernier à s’impliquer pleinement dans des activités qui l’aident à mieux appréhender le monde et construire sa personnalité. Mais concrètement, qu’est-ce que cela veut dire?

Alexandre Mourot, votre film le maître est l’enfant , nous plonge dans le quotidien d’une classe de maternelle Montessori. A-t-il été facile d’amener la caméra dans la classe ?
Ca a été assez facile. Les enfants de classe Montessori ont l’habitude d’être observés, la pédagogie se base d’ailleurs sur l’observation de l’enfant pour repérer ses périodes sensibles et ainsi lui proposer les activités pertinentes selon ses centres d’intérêt. Bien sûr, j’ai mis du temps à m’intégrer. J’ai commencé par trois semaines d’observation, puis j’ai amené un appareil photo que j’utilisais en restant sur ma chaise et dans un second temps en me déplaçant dans la classe, et ensuite seulement j’ai pu commencer à tourner. Il fallait passer par là pour arriver à capter la spontanéité des enfants dans leurs activités. On ne peut pas leur demander de simuler !

C’était aussi important pour ne pas les déconcentrer dans leurs activités…
Maria Montessori fait de la conquête de la concentration un pilier de sa pédagogie. Même si elle est flottante, la concentration des enfants leur permet de se dédier entièrement à leur tâche. Ils savent que ce qui est important pour eux, c’est le matériel, l’activité qu’ils sont en train de faire, leur travail.

A ce sujet, on peut être surpris en voyant votre film : dans la première partie, on ne remarque pas d’adultes dans la classe. Pourtant, les enfants sont tous très occupés !

Le projet de l’éducateur Montessori, c’est faire que la classe fonctionne sans lui. Le film montre donc un peu la réalité !

Et puis surtout, je voulais reprendre le cheminement de Maria Montessori. Elle a toujours dit qu’elle n’avait pas découvert de méthode, mais qu’elle avait découvert l’enfant. Cela passe par l’observation, ce qu’en tant que chercheuse, elle n’a cessé de faire. D’ailleurs, son projet a beaucoup évolué entre sa première classe en 1907 et ses dernières dans les années 1950, au fur et à mesure de ses découvertes.

Concrètement, observer les enfants, ça veut dire quoi ?
Se mettre en état d’observation des enfants, c’est se demander « que peuvent-ils faire sans moi ? ».

S’il y a un message dans mon film, c’est celui de dire aux parents « observez vos enfants ! ». Ils ont tellement de choses à nous dire, pour nous faire comprendre leurs besoins, leurs centres d’intérêt… ils ont envie d’apprendre les choses de faire par eux-mêmes. A nous parents de les y aider.

Qu’est-ce qui vous a frappé dans l’évolution des élèves de la classe de Christian Maréchal ?
Ce qui est extraordinaire, c’est la justesse des observations de Maria Montessori. Je pense par exemple à la question des périodes sensibles. C’est un point central de ses travaux, que j’aurais aimé pouvoir plus développer dans le film. Proposer les bonnes activités au bon moment est fondamental pour le développement de l’enfant. Et c’est différent pour chacun, ce qui rend le travail de l’éducateur passionnant.

Le 21 septembre, c’est la Journée mondiale de l’éducation à la paix. Pour Maria Montessori, c’était une notion capitale…
La pédagogie Montessori s’appuie sur l’autonomisation des enfants, leur indépendance dans l’action. L’idée sous-jacente, c’est le respect profond de leur personnalité et l’autonomisation de leur pensée. Quand l’enfant est habitué à choisir seul son activité, qu’il sait définir ce qu’il veut faire, il se construit. Le projet de Maria Montessori est ainsi une forme d’éducation à la paix.

Elle disait elle-même que le but est d’aider l’enfant à accomplir son potentiel humain pour qu’il sache ce qui doit faire là où il est sur terre, ce qui va l’animer dans la vie.

S’ils sont respectés et éduqués dans un cadre bienveillant, les enfants apprennent à obéir à eux-mêmes et non aux autres. Ils ne vont donc pas suivre un leader qui les entrainerait dans la violence. Cela permet d’éviter les conflits, ou en tous cas, de les résoudre plus facilement.

Quel est votre souvenir de tournage le plus fort ?
J’avais lu beaucoup d’écrits de Maria Montessori, fait des entretiens, mais je ne m’attendais pas à ce que j’ai pu voir « en vrai ». Une scène m’a particulièrement bouleversé et me bouleverse encore quand j’y repense. C’est lorsque Christian [le professeur des écoles – NDLR] montre à Géraud comment transvaser du riz d’un pot à l’autre. Géraud est captivé par l’activité, qui aux yeux d’un adulte est pourtant anodine. Cette scène m’a tellement ému qu’elle m’a décidé à me former à la pédagogie Montessori. Je voulais comprendre cette magie.

Maria Montessori parle du secret de l’enfant : on ne sait pas ce qu’il se passe en lui, mais on sent que soudain, une activité est importante pour lui, vitale même

. Et c’est exactement ce que j’ai filmé dans la scène de Géraud et le transvasement du riz.

Que pouvez-vous nous dire sur le titre du film, « Le maître est l’enfant » ?
Il a un double sens. D’un côté, c’est le maître intérieur, qui guide l’enfant dans son développement. Mais il y a aussi l’idée que les enfants se montrent les uns aux autres les activités dans la classe, sans passer par l’intermédiaire d’un adulte. Une des forces du projet Montessori réside dans les classes multi-niveaux. C’est très intéressant pour l’enfant d’alterner le rôle d’élève et de maître. Cela les entraine et leur permet de s’ouvrir dans un groupe où ils ne sont pas jugés.

 

Après cette expérience, quel est votre plus grand souhait pour l’Education Nationale ?
Je rêve que l’on mette en place la liberté éducative pour que les professeurs puissent choisir de se former à cette pédagogie et la mettre en place dans leur classe. On voit bien que cette pédagogie fonctionne ! Lorsqu’ils arrivent au primaire, les enfants ont tellement d’acquis qu’ils n’ont pas de problème à intégrer une classe traditionnelle. Mais ils sont riches d’une liberté intérieure très forte.

Il y a des choses facilement adaptables aujourd’hui, par exemple, les classes multi-niveaux. Dans la classe de Christian, ça marche car il n’y a que 8 ou 9 enfants nouveaux à chaque rentrée. Il peut s’en occuper, et les autres enfants s’en occupent aussi.

Sur ce sujet, inspirons-nous de ce qui se fait ailleurs. En Hollande par exemple, les professeurs peuvent se former à cette pédagogie. Ainsi, dans les écoles publiques, les parents ont le choix entre Montessori ou le système traditionnel.

 Quels sont vos futurs projets après ce film?
Le film m’embarque loin, il a déjà été acheté à l’étranger par une trentaine de pays ! En fait, c’est le premier film sur la réalité d’une classe Montessori. Du coup, ça intéresse. Cela m’a surpris, je pensais que mon film était très français, en fait non, le message est universel. Pour l’instant, j’ai donc pas mal de travail pour faire vivre ce film en France et à l’international. Après, j’ai un autre projet de film, sur la violence éducative et les droits de l’enfant. Et j’aimerais aussi profiter de ma famille ! Ca fait 4 ans que je suis sur ce projet de film sans faire de pause.  A long terme, je réfléchis à l’idée de devenir éducateur Montessori. J’aimerais beaucoup, ces moments d’échange avec les enfants, c’est tellement extraordinaire

Article initialement publié sur le site de femininbio.