Céline Alvarez : son futur projet pédagogique, après Gennevilliers


Honnie par les uns, adorée par les autres, Céline Alvarez, l’auteur du livre « Les lois naturelles de l’enfant » remplit les salles plus facilement qu’une rock star. En prônant un enseignement horizontal où le prof devient guide.

C’est épuisant pour l’adulte et pour l’enfant de devoir transmettre et recevoir le savoir de manière collective, alors que nous sommes prédisposés à l’accueillir et le donner de manière individualisée.

Bien qu’il faille repenser l’organisation de la classe, baisser les étagères, trier le matériel et en acquérir suffisamment pour permettre l’autonomie des enfants, cela représente un investissement tout à fait accessible et surtout, pérenne. L’investissement le plus important sera la réflexion dans laquelle s’engageront les enseignants pour réussir à mettre en lien les enfants individuellement avec le monde — bien que l’expérience par la suite soit collective puisque les enfants jouent et travaillent ensemble.

La mise en place d’un tronc commun et donc le non-redoublement des élèves, c’est une bonne solution?

Je pense qu’il s’agit de la même chose que pour les rythmes scolaires: le redoublement n’est pas le problème, c’est un autre symptôme d’un système pédagogique qui peine à respecter les mécanismes naturels d’apprentissage et de transmission. Si l’on crée des environnements pédagogiques qui respectent davantage le rythme et la manière dont l’enfant apprend, qui respecte également davantage la manière dont l’être humain transmet, nous réduirons de manière considérable les difficultés scolaires, et nous arrêterons par ailleurs de perdre notre énergie à tenter de réparer, par des réformes successives, des problèmes que nous avons nous-mêmes créés.

Votre démarche produit-elle des enfants qui sont bons en math, en français ou les deux?

L’être humain naît avec les circuits pré-esquissés de l’adulte. Les circuits du langage, des compétences exécutives, les circuits moteurs, sensoriels, du sens des nombres, de l’empathie, du sens moral et éthique, etc. Tout est là mais à l’état embryonnaire. Et lorsque les grandes lois naturelles de l’apprentissage sont respectées, alors tous ces circuits vont pouvoir se déployer. D’une manière édifiante et surprenante. C’est ce qu’il s’est passé à Gennevilliers.

 

Par exemple?

Les enfants ont développé de grandes compétences fondamentales, telles que langagières et mathématiques, lire, écrire, ou manipuler des grands nombres. Mais au-delà de cela, ils ont développé de grandes capacités morales et sociales. Ils étaient empathiques, généreux, auto-disciplinés, calmes, centrés, ils faisaient preuve d’un sens critique aiguisé, ils savaient très tôt prendre des décisions très appropriées et trouver les ressources nécessaires pour atteindre les objectifs qu’ils se fixaient. Je me souviens d’un enfant de 3 ans qui voulait apprendre à lire. Cela me semblait tôt, je n’ai pas eu la présence d’esprit de l’aider. Alors il l’a fait seul en trois semaines.

On a un problème en Belgique francophone: l’apprentissage du néerlandais, votre démarche produit-elle aussi des effets positifs en matière d’apprentissage des langues?

Je vous pose la question: quel environnement faut-il à l’être humain pour qu’il apprenne idéalement une langue?

L’immersion…

Exactement. C’est l’immersion. Avec un adulte qui est locuteur natif et – cela est très important – d’autres enfants locuteurs natifs de la langue que l’on souhaite transmettre. Il faut pouvoir placer l’enfant ou l’adulte dans un bain de langage et un contexte qui fassent sens, par un biais humain par exemple, plutôt que seul face à un ordinateur. Nous sommes des êtres sociaux. Nous avons avant tout besoin de la précision et de la chaleur du contact humain pour apprendre.

Donc, la course au numérique et l’informatisation à laquelle on assiste, ce n’est pas pour un mieux.

Seulement si c’est un « plus » et que l’environnement pédagogique respecte déjà les mécanismes d’apprentissages humains (motivation, engagement actif, relations sociales riches et chaleureuses, etc). Dans le cas contraire, ce serait comme mettre un pansement sur une jambe de bois.

Aiguiser la démarche active des enfants, c’est ce que pousse à faire des pédagogues comme Decroly, par exemple.

De nombreux pédagogues comme Steiner, Montessori, Decroly, Freinet – et tant d’autres – avaient pressenti les mécanismes biologiques d’apprentissage, dont celui-là. Tout comme les parents pressentent que leurs enfants apprennent mieux lorsqu’ils sont motivés. La recherche confirme aujourd’hui beaucoup de ces intuitions. Elle en infirme d’autres également.

Comme?

Certains pédagogues préconisaient de laisser les enfants découvrir totalement de grands concepts par eux-mêmes, sans aucun accompagnement. C’est ce que l’on appelle la pédagogie de la découverte pure. Or on sait aujourd’hui que cela ne fonctionne pas. Un étayage initial est nécessaire, même si nous laissons ensuite l’enfant explorer sur les bases que nous lui avons fournies.

Vos travaux ont été amplement critiqués en France: on vous reproche notamment le fait que l’échantillonnage est trop étroit et ne permet pas de tirer des leçons comme vous le faites…

C’est vrai, l’échantillon d’enfants était trop restreint. Je le dis moi-même dans mon livre et sur mon site internet. Par ailleurs, le protocole scientifique solide que nous souhaitions n’a pas pu être mis en place pendant les trois années de l’expérience à Gennevilliers, puisqu’il y a eu une interdiction institutionnelle dès la fin de la première année en raison d’un document de cadrage manquant. Nous n’avons donc pu mettre en place le protocole souhaité qu’une seule année. Cela n’est pas suffisant pour en tirer des conclusions définitives, et par ailleurs comme je vous le disais, l’échantillon d’enfants était trop réduit. Néanmoins, les tests que nous avons réalisés ensuite, hors protocole, donnent tout de même une indication extrêmement positive.

On est plus ouvert à votre démarche en Belgique qu’en France?

Je ne me pose pas vraiment la question, même si effectivement, je perçois qu’en Belgique il y a des affinités particulières et des envies de travailler ensemble. Je reste concentrée sur mon envie de voir l’éducation évoluer, partout. Je suis née et ai grandi d’un quartier défavorisé, j’ai vu et vécu les ravages que génère un tel environnement lorsque l’école peine, malgré la passion et l’investissement des enseignants, à permettre aux jeunes de rester connectés avec eux-mêmes, avec l’autre et avec la société. J’ai donc une obsession dans le ventre depuis des années: faire en sorte que l’éducation se transforme le plus vite possible pour arrêter cette souffrance inacceptable, tant celle des enfants que celle des enseignants.

Quelle est la suite de votre démarche?

Matérialiser l’ovni pédagogique que j’ai en tête, en ne m’imposant aucune limite ni pédagogique ni architecturale pour servir le déploiement des potentiels humains.

Gennevilliers, c’était un acte politique, je suis entrée dans le système de l’Éducation nationale pour montrer qu’en respectant davantage les lois de l’enfant, même dans un contexte contraint et défavorisé, nous pouvions réduire l’échec scolaire et l’épuisement à l’école. Maintenant, j’aimerais réaliser mon acte pédagogique, qui lui, va plus beaucoup loin, en amplifiant le mélange des âges, le jeu libre, et le lien avec la nature notamment.

UNE CLASSE PAS COMME LES AUTRES

Pendant trois ans, de 2011 à 2014, Céline Alvarez a intégré l’école maternelle Jean-Lurçat de Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine. Elle y mène une classe d’enfants défavorisés regroupant plusieurs niveaux, et y développe une méthode d’apprentissage inspirée de la pédagogie Montessori, du nom de la pédiatre Maria Montessori (1870-1952), et couplée à certains développements de recherche en sciences cognitives. Elle bénéficie pour cela de l’éclairage du neuroscientifique Stanislas Dehaene.

En 2012, le gouvernement français décide de lui retirer son soutien. Malgré cela, elle continuera à mener sa classe.

De son expérience, elle sortira un livre en 2016, « Les lois naturelles de l’enfant » aux éditions Les Arènes. Très vite, l’ouvrage se hissera en tête des ventes en France, dépassant même le dernier opus d’Harry Potter. D’abord encensée par la presse, sa démarche est ensuite critiquée par la même presse lui reprochant son manque de probité scientifique et l’étroitesse de son échantillon. Cela ne l’empêche pas de prêcher sa bonne foi et de mener son bâton de pèlerin dans les auditoires.

Source : lecho.be


Une réaction au sujet de « Céline Alvarez : son futur projet pédagogique, après Gennevilliers »

  1. Guerreiro

    Merci Edwige pour cette interview avec Céline Alvarez.
    Je suis admirative de son travail, de sa passion et de sa détermination pour changer l »école. Je me reconnais beaucoup dans sa démarche.
    Lire cette interview écrite m’a donné envie de lui proposer un podcast. Je n’osais pas lui demander mais qui ne tente rien n’a rien. J’ai commencé à interviewer des spécialistes qui peuvent contribuer à développer le plein potentiel de chaque enfant. Je l’ai donc appelé : Pour un plein épanouissement affectif et cognitif. On le trouve que sur soundclound pour l’instant.
    Un podcast est une interview audio et c’est gratuit.

    Merci encore Edwige.

    Céline Guerreiro
    http://www.grandirensemblepasapas.com

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